Les jeux de séduction entre membres de l’équipage ne se déroulent pas que dans les ports, je vous assure! Bien des histoires se passent loin du rivage. Je me souviendrai longtemps de cette soirée où j’ai plongé dans l’analogie des amours éphémères et aux saveurs de crème glacée.
Recroquevillée sur un divan au fin fond du crew bar derrière un écran de fumée de cigarette, je fusillais du regard mon bel amant mexicain qui virevoltait sur des airs de salsa sur la piste de danse avec la « nouvelle saveur du mois ». Dans mon analyse, influencée quelque peu par l’alcool et l’horloge qui allait bientôt sonner minuit, j’avais rétrogradé de « caramélisée fleur de sel » à « simple vanille moche ». Nous avions pourtant partagé quelques belles soirées à danser, à se coller et à entremêler nos langues, française et espagnole!
De retour à ma cabine, en pleurs, je me suis confiée à ma coloc. Aucun réconfort ni conseil de sa part. Une expression toute simple qui tenait en deux mots : ship life (vie de bateau). Aoutch! Je venais d’encaisser ma plus courte leçon à vie sur les rapports amoureux. Note à moi-même, ne jamais trop fonder d’espoir ni se projeter dans l’avenir au-delà du prochain lever du soleil. À partir de cette nuit-là, ces relations allaient être classées dans la filière « éphémère ».
Comment expliquer alors que certaines collègues avaient rencontré l’Amour? L’une d’elles, québécoise d’origine, a même rencontré un grec dont elle tomba amoureuse. Après quelques années, ils ont quitté la mer pour s’enraciner en Grèce et fonder une famille. C’est donc possible d’avoir une relation vraie et enrichissante.
Je gardais donc espoir de rencontrer « le gars » inscrit dans les lignes de ma main, celui dont les cartomanciennes m’ont tant parlé. Le 19 juin 2013, alléluia, l’Amour s’est pointé dans le crew bar du Celebrity Reflection. Mon nouveau bonheur mesurait 6’2 ‘’ et faisait partie du quatuor de jazz. Je vivais enfin une relation qui avait des lendemains. En écrivant ces lignes, je revois des scènes, dignes de films hollywoodiens… Toutes ces fois où nos horaires nous permettaient de sortir dans les ports pendant quelques heures.
- Partir en VTT, collés collés, sur l’île de Mykonos jusqu’à la plage Paradise.
- Prendre le métro à Athènes et tenter de décrypter les enseignes.
- Se perdre dans les rues étroites de Naples jusqu’au Musée archéologique national.
- Sortir à Istanbul jusqu’aux petites heures du matin.
- Monter à Santorini à dos d’âne.
- Accompagner des clients du navire à Bali.
- Prendre plaisir à se retrouver sur le pont supérieur sous les étoiles et regagner ma cabine pour s’endormir entrelacés.
Beau, intelligent, cultivé, aimé de tous, ciel que je me suis sentie choyée d’être à ses côtés. Comme notre relation était sérieuse, nous avions fait la demande de pouvoir partager la même cabine à bord. Ce privilège est d’abord accordé aux gens mariés et avec raison. Le personnel des Ressources Humaines doit d’abord gérer les demandes des vrais couples. Le hasard avait fait en sorte que j’obtienne une minuscule cabine à moi toute seule lors de mon dernier contrat. Le mot minuscule en chiffres ? 5 pieds par 8 pieds. Je partageais la salle de bain avec une collègue. Bien que mon lit mesurait 39 pouces, il était bien assez grand. On est jamais à l’étroit dans un lit quand on est amoureux.
Malheureusement, nos sentiments amoureux se sont effrités et notre volonté de bâtir une vie à deux en dehors de nos contrats sur le navire n’était pas suffisamment solide. L’inévitable rupture s’est pointée un an plus tard. Il a regagné sa Nouvelle Orléans et moi, mon Québec. Cependant, je remercie encore le ciel de m’avoir fait connaitre cet homme exceptionnel, l’espace de deux contrats. Être amoureux au-delà des frontières, avoir quelqu’un à qui raconter, à qui se confier, avoir une épaule sur laquelle déposer notre tête dans les moments de tourmente, c’est un cadeau du ciel. Alors voilà. Vous avez la réponse. Sur un navire, les amours peuvent être éphémères mais durables aussi. Tout comme sur terre, il n’en tient qu’à nous à vivre le type de relation souhaitée. À mon ami Mike, je souhaite tout le bonheur du monde. Nous avons tous les deux quitté la vie de bateau. Depuis, il s’est marié et semble encore plus amoureux auprès de sa douce Catherine. Comme on dit : « À chacun sa chacune »… Nous avons tout de même gardé contact et on prend plaisir à se donner des nouvelles une à deux fois par année. Avec sa permission, une photo en souvenir de lui et moi et de notre histoire d’Amour à bord…