16 octobre 2011, je suis fébrile. Je suis à 35 000 pieds d’altitude, la tête au-dessus des nuages. Je vole vers mon rêve, ma nouvelle vie, celle de travailler sur les navires de croisières de Celebrity Cruises. Contrat en main, c’est inscrit noir sur blanc. Je serai « shorex », terme pour dire que je vendrai des excursions (shore excursions).
J’arrive !
L’avion se pose sur la piste de San Diego Californie. À la sortie de l’aéroport, avec mon seul bagage en main pour les 6 prochains mois, je reconnais mon nom sur une affiche. Le chauffeur d’une mini fourgonnette vient me chercher, ainsi que deux autres employés de Celebrity Cruises. Il nous conduit vers un hôtel afin d’y passer une nuit, celle qui précède le jour de notre embarquement. Ne pouvant retenir ma joie, je me retourne vers mes futurs compagnons de travail assis à l’arrière de la fourgonnette et leur lance un : « réalisez-vous que nous irons à Hawaii, en Australie et en Polynésie française ? ». Force est d’admettre que leur regard fade et fatigué par le décalage horaire n’est en aucun point comparable à mes yeux remplis de mégawatts pouvant éclairer une ville entière. Ces futurs membres d’équipage ne semblent pas connaître l’itinéraire que fera notre navire. Je leur demande alors ce qu’ils feront comme job à bord. L’un d’eux me répond « Soup. I will make soup ». L’autre lui, passera 8 mois à laver des draps dans la buanderie. Et vlan dans les dents ! Première constatation : tous les employés ne s’enrôlent pas pour les mêmes raisons que moi. Je me suis donc recalée dans mon siège en me mordillant la lèvre inférieure, absorbant déjà une première réalité. Travailler à bord d’un navire est un rêve pour certains, et une obligation financière pour d’autres. Arrivée à l’hôtel, on m’informe qu’un souper formule buffet ainsi qu’un petit-déjeuner me sont offerts gratuitement. Je souris à l’idée que mes quelque 550 prochains repas seront gratuits et cuisinés !
C’est un départ
Le matin du 17 octobre, nous étions au-delà de 80 employés à prendre le bus pour se rendre au port. J’étais la seule Québécoise pure laine à travers ces employés en provenance du monde entier, notamment de l’Inde, des Philippines, de l’Indonésie, des pays de l’Europe de l’Est et l’Amérique du Sud. On retrouve facilement une soixantaine de nationalités différentes parmi les membres de l’équipage. Quelle belle opportunité de s’ouvrir au monde et de côtoyer la différence.
Par les fenêtres de l’autocar, j’aperçois soudain le navire, mon navire. Le Celebrity Century. Mon cœur palpite de nervosité, de joie et de « je-ne-sais-trop ». Je viens de franchir le point de non-retour. De toute évidence, ma vie vient de changer et j’en suis ravie. Dans le terminal de croisières, nous sommes à l’écart des passagers qui eux montent à bord pour 2 semaines. On nous appose une étiquette de couleur pour nous distinguer des autres personnes dans le terminal. Je suis témoin de certaines retrouvailles, d’accolades chaleureuses. Moi je reste plantée là, incognito, avec mon contrat et mes papiers médicaux en main. Une fois à bord, on se dirige vers une salle pour un mot de bienvenue et la remise du programme de formation générale (sécurité, éthique, etc.).
Et ma cabine, elle ?
Ma future collègue et colocataire hongroise me prendra sous son aile. En sa compagnie, nous faisons une visite éclair au comptoir des excursions qui se veut mon milieu de travail. Nous allons au magasin des employés pour récupérer mes uniformes, passons par la buanderie, la cafétéria, le bar, le bureau de l’assistance au personnel pour la remise de ma carte d’employée (carte d’identité avec photo) et finalement ma cabine Je pourrais la qualifier de minuscule, car même le mot « petite » serait presque exagéré pour la superficie. On a vite fait le tour du proprio : 2 lits superposés, une mini salle de bain (toilette, douche, lavabo), un petit bureau, une télé, un téléphone, une petite garde-robe pour 2, une chaise pour 2. Ouf ! Je partagerai cet espace restreint avec cette collègue qui a gentiment accroché un petit drapeau canadien sur le lit du haut. C’est alors que j’ai vite compris que dans les cabines avec lits superposés, le dernier arrivé commence en haut de l’échelle ! À peine le temps d’enfiler mon nouvel uniforme, que je me rends au comptoir des excursions pour commencer à apprendre mon nouveau job. Moi qui croyais qu’on allait m’offrir une journée de repos pour absorber le décalage horaire, le choc culturel et les émotions. Erreur de jugement. À bord, on travaille 7/7, même le jour d’arrivée.
Le soir venu, je suis grimpée jusqu’à mon lit pour me retrouver le nez à 24 pouces du plafond. Avant de m’endormir ce premier soir-là, j’avoue avoir mis en doute mon choix de vie. Puis, je me suis laissée bercer par la mer.
Le hasard avait fait en sorte de me retrouver sur le même navire que la Québécoise qui m’avait aidée à décrocher l’emploi. Sa présence et son expérience m’ont été d’une grande aide. Les jours passaient, je me sentais de mieux en mieux. Je me perdais de moins en moins dans le labyrinthe des couloirs. Les premiers matins, le temps investi à effectuer le trajet entre ma cabine et le comptoir des excursions était plus long que de parcourir en voiture les 8 km qui séparaient ma maison de mon lieu de travail à Québec.
Je souriais régulièrement à l’idée que je me retrouvais finalement derrière ces portes closes « crew only ». Je sais maintenant que les cabines sont minuscules, que les gérants ont généralement des cabines avec hublot, que les odeurs de curry sont à l’honneur dans la cafétéria, que les partys d’employés se passent souvent les soirs où on recule les montres d’une heure, que les filles de la troupe de danse ont définitivement la cote auprès des garçons, que les consultations chez le médecin sont gratuites et que les Philippins s’arrachent le micro au karaoké. Tant de secrets encore que je pourrais vous raconter…
©Francine Caron